Ce n’est plus un secret pour personne, l’e-sport ne cesse de prendre du galon. Dans contexte de forte progression du virtuel et d’émergence de l’Intelligence Artificielle, la discipline est promise à un avenir radieux, qu’on l’aime ou pas. Cependant, un constat saute aux yeux : l’écrasante majorité des e-sportifs sont des hommes. Et trouver la trace d’une gameuse n’est pas une mince affaire. Pourtant, selon le baromètre de France e-sports, les femmes représentent aujourd’hui la moitié des joueurs de jeux vidéos. Mais alors, où se cachent-elles ?
Un vivier bien réel… victime d’un « cercle vicieux » ?
Cela en surprendra certains, mais l’e-sport a subi, lui aussi, le confinement de plein fouet. Loin du cliché du geek boutonneux qui tuerait son temps devant sa console, les e-sportifs suivent un entraînement intensif, qui s’est vu perturbé : « En temps normal, nos joueurs s’entraînent au quotidien dans un centre d’entraînement, à l’instar de n’importe quel athlète de haut-niveau. Ce qui devient plus compliqué quand tout le monde est confiné chez soi » confiait à Europe 1 Yannick Agnel, ancien champion olympique de natation reconverti directeur sportif dans l’e-sport.
Forte de ses 4,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires, l’industrie du jeu est la plus productive dans le domaine de la culture, devant celle du livre, du cinéma ou de la musique. Et aujourd’hui, en France, près d’un consommateur de jeux vidéos sur deux est une consommatrice. Le cliché de la femme agacée par la console, qu’elle voit comme le stupide apanage des hommes dont elle ne comprendra jamais l’utilité, est bel et bien défraîchi. Elles sont désormais partie intégrante des consommateurs. Et représentent en conséquence un vivier potentiel pour une carrière professionnelle dans le jeu.
Seulement, le nombre de femmes dans le domaine de l’e-sport ne suit pas. Il ne serait estimé qu’à 5%. Et les femmes qui gagnent exclusivement leur vie de cette activité se comptent, elles, sur les doigts d’une main atrophiée. Par exemple, la liste des 100 finalistes de la Coupe du monde de Fortnite en juillet dernier ne comptait pas la moindre femme. Cette absence s’expliquerait, avant tout, par des raisons sociétales : «Historiquement, le jeu vidéo a été marketé par les garçons et pour les garçons« , explique Nicolas Besombes, vice-président de l’association France Esports.
« Dans les années 1990, la première génération de joueurs a donc été majoritairement masculine. Aujourd’hui encore, les joueuses sont promises aux rôles que certains s’imaginent être plus «féminins». Ces rôles sont souvent plus éloignés des combats, ils aident leurs coéquipiers, en les soignant ou en les assistant, mais surtout en faisant en sorte que l’équipe fonctionne bien. D’où le manque de visibilité des femmes dans les grandes compétitions.
Mais pour Eva Martinello, journaliste indépendante spécialiste de l’e-sport, cette période pourrait durer. Selon elle, un véritable « cercle vicieux » entrave la progression des femmes dans le domaine. « « Il y a peu de femmes, donc peu de femmes se disent qu’elles ont leur place et donc on n’en retrouve presque pas au haut niveau. » Et pour le dissiper, il faudra des efforts, et beaucoup de volonté : « Il y a moyen d’y arriver, mais c’est plus compliqué. Il faut un gros caractère », observe Charlotte Jégu, manageuse au sein de l’équipe française Gaweward sur le jeu Overwatch.
L’E-Sport est mixte. Du moins, en théorie.
Dommage… Car l’e-sport représente un terrain fertile pour la mixité. Derrière les manettes, les différences physiologiques entre les hommes et les femmes ne sont pas engagées, contrairement aux sports traditionnels. Une femme a donc, sur le papier, les mêmes chances qu’un homme. La victoire en novembre dernier de Xiaomeng Li aux championnats du Monde du jeu « Heartstone » à Anaheim (Californie) a envoyé un beau message dans ce sens. La jeune chinoise (23 ans) est alors devenue la première femme à remporter le sésame. « C’est la meilleure manière de répondre à ces personnes qui ne croyaient pas en moi juste parce que j’étais une femme. Ça prouve que les femmes peuvent être de grandes joueuses professionnelles, exactement comme les hommes le sont » déclarait la joueuse après sa victoire, qui l’a vue toucher l’équivalent de 180 000 euros.
Mais si l’on espère que son trophée saura motiver, et ouvrir la voie à d’autres championnes, celle qui a pour pseudo « Liooon » représente encore un cas exceptionnel. Et pour s’attaquer à ce problème de fond, plusieurs solutions sont proposées. Par exemple, l’association « Women In Games », a été fondée en 2009 au Royaume-Uni. Elle vise à concrétiser la mixité encore théorique de l’e-sport, en incluant davantage de femmes dans le secteur. Elle est actuellement considérée comme une des associations les plus influentes dans l’industrie du jeu. Lancée en 2017, sa branche française publie régulièrement des synthèses et recommandations sur la sous-représentation des femmes dans le secteur.
D’autres favorisent la création de Ligues 100% féminines, faisant beaucoup moins l’unanimité. Car si elle est importante pour la solidarité entre joueuses et contribue à la prise de conscience du problème, cette solution va à l’encontre des valeurs véhiculées par l’e-sport. Mais selon Nicolas Maurer, co-fondateur de la team Vitality, il faut surtout éduquer la communauté : « Nous, on a vraiment envie que ça change, on ne demande que ça d’avoir des filles au très haut niveau. Mais il ne faut pas croire qu’il suffit de claquer des doigts. C’est un vrai problème de fond », ajoute-t-il. « Il faut inculquer une éducation à notre communauté et avoir un vrai discours à destination des filles pour leur dire « vous pouvez devenir pro » . Sauf que ça, ça va porter ses fruits dans 5 ou 10 ans. »
Ainsi, l’essor de l’e-sport étant un phénomène récent, il faudra sans doute une période de transition pour que les femmes puissent être enfin reconnues comme des e-sportives à part entière, sans être cloisonnées dans un rôle de l’ombre.